Samedi, 1er août 1914
A 3 heures du matin, dans la direction de l'esplanade Valmy, une fanfare retentit : c'est le premier bataillon du 106e, qui, avec le colonel Collignon et le drapeau, sort de la caserne Chanzy. Les accents de la Marche du 106e, de la Marche Lorraine et de Sambre et Meuse réveillent tout Châlons. Comme nos soldats, la foule vibre d'enthousiasme. Des cris se font entendre : Vive le 106e ! Vive l' armée ! Vive la France ! Sur le quai d'embarquement, près de l'ancienne gare d'Orléans, de nombreuses personnes réclament l'exécution de la Marseillaise. Le colonel Collignon ne croit pas pouvoir prendre sur lui de donner satisfaction à ses patriotes. Alors soldats et civils se découvrant, entonent l'hymne national...
Un coup de clairon...Joyeux et graves, les soldats du 1er bataillon sont partis...
A peu près à la même heure, la compagnie cycliste du 29e bataillon de chasseurs à pied [en fait le 5e groupe cycliste de la 5e Division de Cavalerie -NdA ], casernée à l'ancien Petit Séminaire de Saint Memmie, quittait aussi Châlons.
Vers 5 heures du matin, le 3e batailon du 106e franchit à son tour la porte du quartier Chanzy. Tambours et clairons se font entendre dans la rue Saint Jacques [actuellement la rue Léon Bourgeois], la rue et le faubourg de Marne, l'Avenue de Paris. Le bataillon gagne le quai d'embarquement. En attendant le signal du départ, les hommes devisent joyeusement et commentent les inscriptions traçées à la craie sur les wagons: A Berlin ! A bas Guillaume ! Vive la France !
Puis des groupes chantent la fière chanson du 106e. La Maison Dalizon gratifie les soldats de quelques bouteilles de Champagne. Enfin, le train s'ébranle: des chants, des vivats, un dernier adieu, des képis qu'on agite vers les parents, les amis ou les curieux, profondément émus, et voilà parti pour la Gloire notre beau 106e, " ce régiment qui depuis 40 ans est le nôtre et qui est comme la chair de notre chair". Le lieutenant-colonel Dubois qui ne part pas encore est présent à l'embarquement. Il a salué, l'air grave, chacun des wagons. Les officiers, sous-officiers et soldats ont répondu avec une respectueuse cordialité.
Une partie du 5e chasseurs à cheval (Colonel Hennocque) s'embarque au quai militaire, rue du quai d'embarquement, vers 5h du matin; le restant du régiment au même endroit vers 7h et demi. Comme leurs camarades du 106, les vaillants chasseurs sont chaleureusement acclamés.
Vers huit heures du matin, les facteurs de Châlons et des environs remettent aux plus jeunes réservistes (classes 1908, 1909 et 1910) des ordres d'appels individuels leur enjoignant de rejoindre immédiatement et sans délai. Des ordres semblables sont distribués aux réservistes de la Territoriale affectés à la G.V.C. Dans la journée même, ils seront à leur poste.
Dès la matinée, la circulation est intense, de nombreux réservistes arrivent, qui à pied, qui à byciclette, se dirigeant vers la gare, la musette pendue à l'épaule ou un modeste ballot à la main. Bien des adieux déjà ont eu lieu, qui auront été les derniers. Les nombreux trains d'infanterie et de réservistes qui passent en gare de Châlons, fleuris, couverts d'inscriptions joyeuses, bondés de jeunes gens pleins d'entrain, sont acclamés. On apprend bientôt que Jaurès a été assassiné à Paris, la veille au soir. Mais l'esprit est ailleurs.
(Le Journal de la Marne 1 août 1915)
Première page du carnet de route du capitaine Bord, commandant la 7e compagnie du 106e RI
(Archives Famille Bord)